Propos recueillis par Wu Zhilong
Traduction Marion Dal Bello
Traduction Marion Dal Bello
Le salon d’art contemporain Art Paris Art Fair a cette année encore ouvert ses portes au Grand Palais avec pour invités d’honneur les galeries d’Asie du Sud-Est et de Singapour. Sur invitation du salon, l’artiste singapourien Chen-Sai Hua-Kuan de la Galerie Ipreciation a présenté cette année l’installation accueillant les visiteurs à l’entrée principale du Grand Palais. A l’occasion de la célébration du 60ème anniversaire de l’amitié franco-chinoise l’an dernier, un énorme poing de fer frappant le sol avait été exposé à cet endroit. Dans un style un peu différent, pour cette 17ème édition du salon, deux gigantesques haut-parleurs réalisés par Chen-Sai Hua-Kuan ont été placés sur le parvis du Grand Palais. Intitulée Ling Ting No.2 (littéralement écouter No.2), cette étonnante installation diffuse un message à la fois bienveillant et profond.
L’inspiration de Chen-Sai Hua-Kuan pour la réalisation de cette œuvre est venue d’un jeu de son enfance : le téléphone magique. Composé de deux pots connectés par une ficelle, ce jeu permet à deux personnes éloignées de communiquer en parlant chacune dans son pot respectif. L’artiste a transformé le principe de ce jeu pour en faire une œuvre d’art à exposer sur l’emplacement le plus important d’Art Paris Art Fair. Mais ce que l’artiste transmet au travers de cette œuvre va bien au delà de la simple reproduction d’un jeu d’enfant. Les haut-parleurs qu’il a conçus sont placés l’un en face de l’autre et sont reliés entre eux par un troisième haut-parleur plus petit. Lorsque quiconque s’exprime dans ce troisième haut-parleur, le son revient dans ses oreilles par les deux plus grands. « Si j’ai réalisé une telle installation, c’est pour inciter plus de gens à rester à l’écoute de leur voix intérieure » explique l’artiste, « dans la société actuelle, cette démarche est devenue cruciale. » En parvenant à nos oreilles par deux grands haut-parleurs les propos prononcés semblent amplifiés, comme rappelés à la conscience par notre voix intérieure.
Nombreux sont les amateurs et professionnels du monde de l’art à affirmer que Chen-Sai Hua-Kuan est un artiste particulièrement intéressant, en perpétuelle recherche d’innovation et de renouvellement de ses idéaux artistiques. « Je ne crée pas d’œuvres qui n’ont pas de sens » annonçait l’artiste à AVM’s Art Magazine lors de la foire. Selon lui, l’art est une recherche de sens qui ne peut être accomplie par pur plaisir. Cette recherche de sens est la force motrice de tout acte créatif. Mais dans l’effervescence du marché de l’art actuel, se rattacher à cette idée n’est pas toujours une évidence. L’installation Ling Ting est là pour rappeler les artistes et les spectateurs à des valeurs qui leurs sont propres. Elle incite les artistes à écouter ce que dicte leur cœur et à faire abstraction des interférences du monde extérieur.
Lorsque qu’interrogé sur ses créations futures un artiste très renommé en Chine, également présent à Art Paris, a fait la réponse suivante : « Les moyens d’expressions que j’ai développés ces deux dernières années ont été un grand succès mais j’explore encore de nouvelles possibilités, je redouble d’efforts pour continuer sur un chemin de création qui m’est très personnel. » Les créations d’artistes adoptant une telle démarche ne peuvent qu’être particulières, elles contiennent les réflexions de ceux qui les ont créées sur l’humanité et sa société. Mais il est bon de rappeler qu’une véritable démarche de réflexion n’est possible que dans la mesure où on demande à l’artiste de ne réaliser qu’une dizaine d’œuvres. En lui demandant d’en créer une centaine, on obtient une série d’œuvres ‘’numérotées’’ sans grande réflexion ou recherche artistique. Aujourd’hui pourtant, nombreuses sont les galeries à exiger d’un artiste un travail en série. La raison d’une telle demande est simple : les séries d’œuvres ont une influence considérable sur le marché de l’art. Les artistes souhaitent mettre en avant leurs séries pour mieux marquer les esprits et gagner en influence. Or lorsque l’influence d’un artiste s’étend, sa côte artistique augmente. L’artiste peut alors s’entendre avec les galeries d’art pour vendre ses tableaux. Pour des raisons économiques, les acteurs du marché ne se préoccupent pas de la valeur ni du sens de l’art. Si cette tendance continue, l’ensemble du marché verra ses créations réduites à de simples produits commerciaux.
Il est pourtant clair que cette approche de la création est contraire à l’essence de l’art. Il serait absurde d’affirmer que la force des réflexions d’un artiste peut ne venir que d’une seule œuvre ou d’une série d’œuvres. Comme le disait le philosophe Jacques Derrida : « seule la folie peut se faire gardienne de la réflexion. » Le philosophe incite ici chacun d’entre nous à réfléchir à en perdre la raison pour défendre ses propres réflexions et son approche de la créativité. Il est important pour les artistes d’apprendre à sortir du cadre, à changer de style. Si la répétition vient amoindrir l’intérêt du public, elle anéantit aussi le talent des artistes. Plutôt que de se faire esclaves du marché et de ses intérêts les artistes sont plus que quiconque tenus de défendre la folie de leurs réflexions. Cette folie est la meilleure arme qu’un artiste puisse avoir pour rester lui-même, s’exprimer et se défendre face à l’opinion publique.
L’installation de Hua-Kuan est en fait une sorte de performance, c’est sans doute même une forme de conseil. L’artiste conseille à chacun d’écouter la voix qui s’exprime au fond de lui. Parce que les choses de ce monde sont compliquées, nos voix intérieures ont tendance à s’éteindre et la personnalité que chacun d’entre nous laisse entrevoir aux autres est bien souvent faussée. « L’écoute » dans l’œuvre de Hua-Kuan apparaît comme une forme de cri, c’est à la fois un conseil et un avertissement adressé aux artistes du monde entier. La voix du cœur est la seule véritable pensée qui soit. Soit-t-elle folle ou pleine d’esprit, tout artiste se doit de l’écouter.