Propos recueillis par LIU Nini
Rédaction LAN Xun
Traduction Marion Dal Bello
Rédaction LAN Xun
Traduction Marion Dal Bello
Né en 1955 à Pékin de parents originaires de la province chinoise du Anhui, TIAN Liming est aujourd’hui directeur du département de peinture traditionnelle chinoise de l’École Centrale des Beaux-Arts de Pékin. Considéré comme l’un des artistes les plus innovants de sa génération, cet artiste peintre a su associer les traditions chinoises à des techniques et des thèmes artistiques proches des créations occidentales. Devenu peintre de prestige, TIAN Liming a exposé dans le monde entier et offert à la peinture à l’encre et au mouvement impressionniste des techniques encore jamais vues ! Ces créations ont valu à l’artiste le glorieux surnom de « maître de la transmission » de l’Histoire de l’art chinois. Un surnom bien mérité résumant le travail de toute une vie d’un artiste ayant su transformer et élever la peinture à l’encre au rang des incontournables.
AVM : De votre premier succès avec l’œuvre « forêt de stèles » à votre dernière série de portraits à l’encre de chine en passant par votre désormais célèbre technique de travail de la lumière, comment décririez-vous l’évolution de votre peinture? Quels changements sont apparus dans votre style ?
La forêt de stèles est une œuvre que j’ai réalisée en 1984. C’est l’œuvre que j’ai présentée lors des épreuves finales de la China Central Academy of Fine Arts. Le concept créatif derrière cet œuvre vient de ma sensibilité et de ma perception des troupes militaires. Cette œuvre représentant les martyrs de la guerre civile chinoise (de la République à la guerre Sino-Japonaise jusqu’à la Libération) a attiré l’attention des académiciens. Inspiré par les guerriers en terre cuite composant l’armée du mausolée de l'empereur Qin de Xi’an et au moyen de perspectives très marquées et d’un large champ de vision, j’ai cherché à représenter les difficultés traversées par la Chine lors de sa révolution vers la modernité.
Après l’obtention de mon diplôme j’ai poursuivi mes études à l’Académie Centrale des Beaux Arts de Chine en suivant un Master sous la direction de monsieur LU Chen. Durant les années 87 à 88, j’ai réalisé une série de portraits à l’encre de Chine qui a été présentée au salon International de Peinture à l’Encre de 1988 à Pékin. L’un d’entre eux, « le ruisseau » a obtenu le grand prix du salon. Cette série de portraits à l’encre porte à réflexion sur les rapports de l’Homme à la Nature. Une approche plutôt rationnelle associée à l’ensemble des expériences de mon vécu et les enseignements sur les relations entre l’Homme et l’univers tirés de la philosophie chinoise et de la contemplation de la Nature sont à l’origine de cette série de portraits. En peignant ces tableaux j’ai cherché à faire l’expérience de la culture traditionnelle chinoise par le biais de la création.
A l’époque, au travers de moments passés entre étudiants à observer et esquisser le lac Weishan, les sentiments d’un aubergiste ou la vie d’un vieux couple, j’ai découvert et appris à aimer les vertus simples des paysans chinois. C’est cette approche de la vie que j’ai cherché à représenter, à l’aide de couleur et de manière un peu désossée (sans en tracer les contours, à l’aide de taches d’encre), j’ai représenté des personnages reflétant mes réflexions sur l’existence humaine.
Plus tard, ma série de points de lumière s’est elle aussi appuyée sur mes expériences de la vie pour exprimer la relation de l’être humain avec la Nature. A cette époque, j’observais les gens en train de nager l’été. La pression entre l’eau et les nageurs me donnait l’impression de pénétrer dans un monde pur et c’est cette forme de pureté, cet état de médiation naturel, qui me permettait de ressentir toute la beauté de la nature et des pressions qui s’exercent entre elle et les êtres humains.
Grâce aux enseignements de monsieur LU Chen qui sût ouvrir les yeux de ses élèves sur les profondeurs de la vie, j’ai pu trouver un langage approprié pour représenter la vie qui m’entourait. Dès lors, mes réflexions sur l’existence et la condition humaine se sont exprimées d’elles-mêmes, à travers l’encre de mes créations.
En peignant la série points de lumière j’ai petit à petit construit ma propre technique de peinture à l’encre et adopter les thèmes de la poésie comme sujet de prédilection. Je me suis attaché à la question très importante dans la peinture chinoise du blanc et de l’espace tout en cherchant à représenter et à faire apparaître la notion de temps dans mes tableaux. Des techniques de lianti fa et de pose de couleurs* mises en pratique au fil de mes créations à la technique de peinture sans contour*, j’en suis arrivé à une expérience et à une perception toute nouvelle de l’encre de Chine. Ces techniques ont déterminé mon style de peinture et fait de mes créations des œuvres naïves à l’esthétique proche de la poésie. Elles m’ont permis d’exprimer à ma manière le regard de la philosophie orientale sur la lumière, sur l’espace et sur l’eau et de représenter et expérimenter les relations entre l’Homme et la Nature, l’Homme et la Société et l’Homme et sa condition d’Homme. Armé de profonds idéaux éthiques et esthétiques, j’ai cherché à peindre les qualités de la civilisation humaine.
AVM : Qu’est ce qui a fait que vous êtes passé des thèmes abordés par la peinture à l’encre traditionnelle chinoise à des thèmes tels que les êtres humains ou les villes ? Votre application des couleurs et votre travail de la lumière s’éloignent des techniques ordinaires de la peinture à l’encre chinoise et se rapprochent des techniques utilisées par les peintres impressionnistes occidentaux. Les tons de couleurs et les personnages que vous représentez rappellent aux spectateurs les œuvres de Gauguin et des Nabis. Ce rapprochement entre l’art occidental et l’art oriental est-il pour vous représentatif d’un nouvel avenir pour la peinture à l’encre ?
A un certain moment, mon approche de la création et mes idéaux esthétiques ont un peu changés. Je me suis peu à peu rapproché d’idéaux esthétiques plus tendres, plus sincères et plus innocents. En réfléchissant, j’ai trouvé des points communs entre l’époque contemporaine et les êtres humains et j’ai eu envie d’étendre la pensée esthétique traditionnelle aux villes et aux êtres humains. Je voulais la transformer, la faire évoluer. Du bout de mon pinceau, je me suis mis à représenter de manière un peu floue les sentiments et les pensées de l’Homme contemporain face à sa propre existence et face aux forces de la Nature.
La rencontre des esthétiques orientale et occidentale s’est presque imperceptiblement imprégnée de l’influence de l’impressionnisme occidental. Les techniques impressionnistes s’accordent parfaitement avec le concept de xieyi (selon le célèbre peintre Zhang Daqian, xieyi signifiait dessiner l’essence des êtres, il s’agit souvent de dessiner à grands traits, de façon spontanée) de la peinture traditionnelle chinoise et peuvent permettre d’en retranscrire la beauté. Des spécialistes ont dit de la lumière qui ressort de mes tableaux qu’elle était présente absolument partout. Ma manière d’appliquer les couleurs et la recherche d’une certaine harmonie entre l’Homme et la Nature m’ont permis de représenter l’espace bidimensionnel de la peinture chinoise à travers le blanc du papier.
AVM : Selon vous, comment les artistes peintres d’aujourd’hui peuvent-ils mettre en pratique l’idée d’une peinture à l’encre qui refléterait leur époque ? Un tel procédé de création pourrait-il répondre à la demande et aux exigences du marché de l’art contemporain ?
L’idée d’une peinture à l’encre qui serait le reflet de notre époque implique pour les artistes d’aller à la rencontre de la vie qui les entoure. La rencontre de la nature avec l’époque se fait sous le pinceau de l’artiste qui fait lui-même l’expérience de sa propre époque. Comment faire en sorte que la peinture chinoise prenne, dans l’esprit, le rythme de son époque ? C’est la question que sont tenus de se poser les artistes d’aujourd’hui, c’est là leur défi. Les artistes doivent créer des œuvres en accord avec les tendances de leur époque, être artiste nécessite de savoir regarder vers l’avant, innover. Cette approche de la création doit être soutenue par le marché de l’art. Le marché de l’art contemporain chinois a besoin de s’installer, les artistes doivent beaucoup pratiquer et le gouvernement est tenu de soutenir leur création en facilitant leurs démarches. Les organisations artistiques et les galeries d’art doivent-elles aussi développer les échanges et le dialogue avec les artistes pour se familiariser avec leurs œuvres et apprendre à mieux les connaître. Il est nécessaire pour de tels organismes de sélectionner des artistes inspirés, visionnaires. Une telle association pourrait permettre à l’art d’atteindre le point le plus élevé de la Culture. Si l’art donne sa chance à chaque artiste, chaque artiste doit également apprendre à respecter les tendances artistiques du pays qui l’a formé. Les processus de création et le marché de l’art contemporain actuels ont besoin d’opportunités pour se rencontrer et réfléchir sur ce point.
AVM : Le mouvement Chinese New Ink Paintings est de plus en plus reconnu à l’international, comment considérez-vous l’intérêt grandissant de l’Ouest pour la peinture à l’encre ? Comment les peintres chinois peuvent-ils appréhender ce phénomène ?
Aujourd’hui parmi les peintres à l’encre chinois se trouvent les artistes d’avant-garde, des artistes post modernes associant l’art occidental à la philosophie chinoise, et les traditionnels artistes locaux. Les créations de ces derniers s’appuient sur les héritages de cinq mille années d’évolution de la civilisation chinoise. L’approche de ces deux catégories d’artistes est différente en de nombreux points mais pour les artistes chinois la réussite vient aussi de la capacité de chacun à « créer sa propre culture. » En particulier à l’heure ou les pays étrangers commencent à s’intéresser à la peinture à l’encre chinoise, les artistes doivent présenter des œuvres de plus haut niveau pour donner envie aux commissaires d’art de venir en Chine. Les échanges qui se créent entre les artistes chinois et les commissaires d’art internationaux doivent ouvrir des portes vers la ou une connaissance mutuelle, vers une meilleure communication et une approche à la fois nationale et internationale du monde de l’art. A l’avenir, un plus grand nombre d’artistes chinois ira exposer à l’étranger, faire des recherches ou échanger avec l’occident. En parallèle, de nombreux critiques, commissaires d’art et collectionneurs se tourneront vers la Chine et établiront des échanges académiques pour apprendre les uns des autres. Au travers de divers événements et échanges artistiques, l’Orient et l’Occident apprendront à se connaître et à mieux se comprendre.
AVM : Cette année, vous présentez une exposition personnelle au Palais Medici-Riccardi de Florence. Prévoyez-vous d’y présenter des œuvres en particulier ?
Pour moi, être invité à exposer au Palais Medici-Riccardi de Florence est une excellente occasion d’apprendre, de porter la peinture chinoise hors de Chine et de la promouvoir tout en renforçant les échanges culturels entre nos deux pays. Florence est une ville pleine d’Histoire, c’est le berceau de l’art et je me devais d’organiser une exposition au cœur du temple de la Renaissance : le Palais Medici-Riccardi. C’est un grand événement. J’ai sélectionné quelques unes de mes plus grandes toiles pour l’occasion. Ces œuvres présentent ma vision de la culture chinoise au cours des dix dernières années. Il s’agit principalement de séries de croquis de personnes, de filles de la campagne et de nageurs. Mais j’ai aussi prévu d’exposer certaines de mes plus récentes créations, des tableaux peints au cours des deux dernières années. Ceux-ci expriment plutôt ma perception des conditions de vie dans les grandes villes. Au travers de cette exposition, je souhaite exprimer et partager ma démarche et mon approche artistique tout en introduisant la culture chinoise.
AVM : Quelles sont les idées que vous souhaitez transmettre au monde artistique occidental par le biais de cette exposition? Est-ce que vous souhaiteriez pouvoir exposer un peu plus à l’étranger ?
Au travers de cette exposition, j’espère pouvoir partager mon expérience de la culture chinoise. Dans le contexte de la mondialisation, la culture chinoise et la culture contemporaine se développent en parallèle et je souhaite partager avec le monde la poésie des tableaux et les visions de l’époque chinoise moderne. Je souhaite mettre à profit mes quelques connaissances de l’occident et partager avec lui ma connaissance et toute la beauté de la philosophie chinoise. Bien sûr, j’espère également pouvoir échanger avec les académiciens occidentaux pour apprendre à mieux les connaître et à apprécier l’esprit de leur travail.
Lors de mon exposition personnelle en Corée l’an dernier et en venant en Italie cette année, je n’ai cessé de chercher à aller à la rencontre de la culture de l’autre. Je souhaiterais en effet voir mes œuvres voyager plus, dans plus de pays, pour aller à la rencontre d’un plus grand nombre de personnes. Exposer et voir une œuvre de ses propres yeux est le meilleur moyen de faire en sorte que le public et l’artiste communiquent en leur fort intérieur. Si ses œuvres portent l’esprit d’un artiste, elles sont aussi le reflet d’échanges spirituels et de partage de la connaissance entre les Hommes. Pour moi, l’art ne devrait pas avoir de frontière. Les artistes transmettent la culture et permettent d’améliorer la tolérance envers l’autre, envers la culture de l’autre. Au travers des artistes, l’autre cesse d’être un inconnu et l’être humain parvient à une compréhension profonde de la bonté et de la beauté. J’espère qu’à l’avenir, un plus grand nombre d’artistes occidentaux se rendra en chine pour se familiariser et mieux comprendre la culture chinoise.
Propos recueillis par LIU Nini
Rédaction LAN Xun
Traduction Marion Dal Bello